Je n’ai pas d’agenda. Avec les années qui passent, ma mémoire devient de moins en moins fiable et je tente par tous les moyens de l’exercer afin de ralentir son inéluctable détérioration. J’ai bien un agenda électronique dans mon Mac, mais je m’en sers surtout parce que des gens me convoquent en rendez-vous via leur propre agenda électronique. Il m’arrive certes d’oublier un meeting ou un dîner avec une copine, ou de prévoir deux activités au même moment — ce qui a l’heur de faire soupirer ma blonde qui, elle, consigne chaque activité de ses vies professionnelle et personnelle dans le sien —, mais je m’en sors encore plutôt bien jusqu’à maintenant, j’ai une bonne moyenne au bâton.
Tout ça pour dire qu’hier soir, je me suis pointé à 21 h au Quai des Brumes pour le Cabaret… alors que le show débutait en fait à 21 h 30.
Bon. Trente minutes à tuer. Je bois une cream ale au bar ? Je vais manger un shish taouk au Amir d’à côté ? Je marche sur Mont-Royal — ce que je ne fais jamais, étant allergique aux quartiers davantage peuplés de visiteurs que de résidents ?
Je décide finalement d’aller bouquiner dans une librairie de livres usagés. Ça sent bon le vieux livre là-dedans. Après une quinzaine de minutes à déambuler dans les rayons, je ressors du commerce les mains vides; mais une fois rendu dehors, dans un présentoir de vieux bouquins à 3 $, mon regard tombe tout à fait par hasard sur la tranche noire, blanche et rose de Mémoires d’un homme de ménage en territoire ennemi, la sulfureuse autobiographie de feu Sir Robert Gray, que j’avais publiée en 1996 alors que j’étais aux Éditions Triptyque. Robert Giroux m’avait embauché pour que j’œuvre aux communications, mais je n’avais pas pu m’empêcher de passer au travers de deux piles de 1,5 m de haut de manuscrits non évalués, reçus au cours des deux-trois dernières années. J’ai déjà dit que le métier d’éditeur avait beaucoup à voir avec celui de pêcheur de perles; tous les éditeurs pourront témoigner de cette joie, de cette jouissance qui surgit lorsque tu déchires une lourde enveloppe et que dedans se trouve un magnifique joyau littéraire à polir. Après avoir feuilleté les vingt premières pages du manuscrit de Mailloux, histoires de novembre et de juin racontées par Hervé Bouchard, citoyen de Jonquière à l’époque de l’Effet pourpre, je me suis mis à sautiller dans mon salon en chantonnant J’en tiens un, eeee, j’en tiens un, eeee…
Confortablement assis dans le vieux fauteuil en cuir des Éditions Triptyque, j’avais un gros sourire d’étampé dans la face pendant la lecture de ces Mémoires qui racontent, avec moult détails, les travers des riches clients anglophones de Westmount où travaillait Mister Gray lorsqu’il était homme de ménage.
Or, mon seul exemplaire de ces Mémoires avait disparu de ma bibliothèque, assurément victime d’un prêt non retourné. J’étais donc heureux de racheter le génial bouquin hier soir et ça m’a donné du pep pour le reste de la soirée, moi qui commence à ressentir les effets de la fatigue à mi-chemin du FIL d’arrivée.
Dans mon livre à moé, le Quai des brumes, c’est le Forum de Montréal des soirées de lecture. C’est le Temple, la Mecque où il fait bon venir se ressourcer. J’étais content d’y revenir pour cette édition du mardi du Cabaret des brumes.
Animé depuis trois ans par l’exubérant poète François Guerrette, le Cabaret des brumes a lieu du lundi au vendredi à 21 h 30. Quinze voix essentielles de notre poésie contemporaine et cinq invités spéciaux y livrent leurs textes, accompagnés en musique par Mutante Thérèse, un groupe de quatre musiciens qui sonne comme une tonne de briques, si vous voulez mon avis.
Hier, j’ai entendu les poèmes coup-de-poing de Sophie Bienvenu, les folies de Baron Marc-André Lévesque (ma révélation du FIL jusqu’à maintenant), les nouveaux textes du toujours très solide Tristan Malavoy-Racine et le récit poignant du décès de la grand-mère de Ouanessa Younsi.
Ce soir, ce sera au tour de Mathieu Arsenault, Clara B. Turcotte, Erika Soucy et David Wormäker de fouler les planches du Quai des brumes. Jeudi, vous pourrez entendre Sébastien B. Gagnon, Rose Eliceiry, Jonathan Lamy et Laurence Veilleux et vendredi, pour la finale, Mathieu K. Blais, Jean-Sébastien Larouche, Daria Mailfait Colonna et Maude Veilleux.
À 21 h 30, hein.
C’est maintenant décidé : je participe à Cœur ouvert, le marathon de micro ouvert de Carl Bessette, ce vendredi 7 h (du matin, oui, oui). J’y lirai des extraits de ces Mémoires de Sir Robert Gray, de Trépanés de Patrick Brisebois, et s’il me reste du temps, je ressortirai peut-être un de mes propres textes des boules à mites. On s’y voit ?
La photo qui coiffe ce billet est l’œuvre de Maxime Cormier.